dans sud ouest dimanche : Interview croisée par Stephane C. Jonathan
Figure historique de l’équipe de « Charlie Hebdo », le Néerlandais Willem, 74 ans, publie le recueil Willem Akbar !. Il sera aujourd’hui, aux côtés de Urbs, dessinateur à « Sud Ouest », l’invité d’un grand débat.
Et maintenant ? Trois mois après le massacre de la rédaction de « Charlie Hebdo » et les manifestations sous la bannière « Je suis Charlie », qu’attend-on du dessin de presse ? Le Néerlandais Willem (« Libération », « Charlie Hebdo ») et le Bordelais Rodolphe Urbs (« Sud Ouest ») débattront aujourd’hui dans le cadre de L’Escale du livre.
« Sud Ouest Dimanche ». Quelle est, selon vous, la qualité première d’un dessin de presse réussi et quels sont les pièges à éviter ?
Willem. Pour moi, un dessin de presse comme je le pratique doit être lisible en deux secondes. Bien qu’il demande de passer plusieurs heures à la recherche de l’idée, et de longues minutes d’exécution. Le piège est de mettre trop d’éléments différents dans le dessin et d’y inscrire un mot de trop.
Urbs. L’erreur est de faire trop compliqué, qu’il faille s’y attarder pour comprendre. Le plus difficile est de synthétiser au maximum l’information. On n’est pas obligé d’être drôle, mais il faut être pertinent.
Un dicton célèbre, attribué à Napoléon Bonaparte, dit qu’un « bon dessin vaut mieux qu’un long discours »…
Willem. J’ignorais que c’était une citation de Napoléon. Mais je suis d’accord. Un dessin frappe plus directement qu’un texte, qui, graphiquement, n’est qu’un bloc de gris. Par son immédiateté, un dessin peut faire plus de mal à certains (et de bien aux autres).
Urbs. Quand je vois certains dessins, je préfère parfois un long discours. Je n’aime pas quand le dessin est chiant, qu’il cherche absolument à être objectif, à exprimer plusieurs points de vue. Dans ce cas-là, je préfère un texte qui explique les choses en profondeur.
Quelles limites vous interdisez-vous de franchir dans vos dessins ?
Willem. Je ne fais pas d’« humour ethnique », et je n’attaque pas les gens pour ce qu’ils sont mais pour ce qu’ils pensent, disent ou croient. La religion n’est pas un tabou chez moi.
Urbs. Il n’y a rien que je m’interdise d’aborder. Mais ça ne passe pas toujours très bien. Quand je dessine Michael Schumacher sous la forme d’un poireau, alité près d’une infirmière qui dit « Il va mieux, il reconnaît la vinaigrette », on me reproche de me moquer des handicapés. Alors que je ne fais que m’amuser avec un « people ». La seule limite que je m’impose, c’est la complexité. Si je sens que je deviens pompeux ou moraliste, je m’arrête et je vais prendre l’air. Représenter la chapelle Sixtine aussi, c’est au-delà de mes limites…
Quel est l’aspect le plus difficile de ce métier ?
Willem. Être à l’heure.
Urbs. Pareil. Ma hantise, c’est l’info qui tombe à 20 heures et qu’il faut traiter dans l’urgence. Surtout si elle ne me fait pas rire.
Et le plus agréable ?
Willem. Ce que je préfère, c’est chercher l’idée. Et surtout la trouver.
Urbs. Oui, quand on pense à un truc et qu’on se marre tout seul à le dessiner, c’est un vrai bonheur. D’une façon plus globale, le plaisir c’est de suivre l’actualité et d’avoir la chance de pouvoir la commenter à ma façon. C’est une chance de pouvoir faire ça.
Les dessinateurs de presse sont-ils sous-estimés en tant qu’artistes ? Vous êtes un des très rares à avoir été primés à Angoulême (1).
Willem. Ça ne me pose aucun problème. Je me considère plutôt comme un artisan (avec une carte de presse) que comme un artiste.
Après le 7 janvier, tout le monde – ou presque – a déclaré « être Charlie ». Avec le recul, comment analysez vous ce soulèvement populaire ?
Willem. Ma réponse tient en un mot : « éphémère ».
Urbs. Je crois au contraire que les esprits ont été marqués plus que durablement. Parce que la prise de conscience dépasse largement le simple cas de « Charlie Hebdo ».
Qu’est-ce qui a changé depuis cette date ?
Willem. Ce qui est nouveau, c’est que désormais, même en France, un dessinateur risque sa peau en exerçant son métier. C’était une chose déjà « normale » dans d’autres pays. On pourrait donc dire qu’en France nous vivons – hélas – dans un pays enfin « normal » !
Urbs. Beaucoup ont découvert la fonction du dessin de presse et s’y intéressent davantage. Mais, en nous attribuant plus d’importance, on nous donne aussi une responsabilité plus grande. Mais nous ne sommes pas des « fantassins de la démocratie », comme disent certains. Déjà, je me suis fait réformer P4, alors ça n’est pas pour qu’on me colle un uniforme et qu’on m’enrôle de force ! Je ne suis pas un Jedi qui brandit sa plume comme un bouclier. Un stylo n’arrête pas les balles. Ce qui est différent aussi, c’est qu’avant, quand je faisais part de menaces de mort que j’avais reçues, on me traitait de parano. Maintenant, on me dit : « Houla, c’est grave ! »
(1) Grand Prix en 2013, après Reiser (1978), Pétillon (1988) et Wolinski (2005).
Grand débat « Dessin de presse : et maintenant ? », avec Willem, Urbs et Yves Harté, directeur adjoint de l’information à « Sud Ouest », aujourd’hui, à 15 h 30 au TNBA (Vauthier) à Bordeaux. Gratuit. 05 56 10 10 10.
« Willem Akbar ! », recueil de dessins parus dans « Libé » et « Charlie Hebdo », éd. Les Requins Marteaux, 152 p., 15 €. Par ailleurs, La Mauvaise Réputation édite deux lithographies de Willem signées et numérotées, tirage limité à 60 exemplaires. 100 €. 05 56 79 73 54.
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