mardi 3 décembre 2013

Un destin couleur sang

sud ouest du jour par Philippe Belhache

Le Bordelais Richard Guérineau a adapté Charly 9, de Jean Teulé, en un roman graphique dense et superbe, biographie décalée du roi qui a ordonné la Saint-Barthélemy.

Certaines rencontres viennent à point. Celles de Richard Guérineau et Jean Teulé sont de celles-là. Lorsque le premier, qui nourrit l’intention de sortir du champ de la bande dessinée d’action pour s’offrir de nouvelles libertés, évoque son amour pour les textes du second, on lui dit d’attendre. Teulé vient de mettre la dernière main à un nouveau roman. Le dessinateur bordelais attend donc. Il se rue sur l’ouvrage, le dévore et se rend à l’évidence : « C’est celui-là et pas un autre. » Deux ans plus tard, son rêve est réalisé. Charly 9, la bande dessinée, est aujourd’hui dans les bacs.

Macabre et grotesque
Guérineau s’avoue fasciné par le récit, trajectoire erratique « du plus calamiteux des rois de France », porté sur le trône par défaut en 1560, à seulement 10 ans, après le décès de son frère aîné. Un souverain faible, dominé par sa mère Catherine de Médicis, que l’histoire retient comme celui qui a sur les mains le sang des milliers de protestants victimes du massacre de la Saint-Barthélemy.
Fasciné, le graphiste bordelais l’est tout autant par le verbe de Jean Teulé, « cette capacité à dire des horreurs avec humour, parfait mélange de macabre et de grotesque. ». Richard Guérineau a dû malgré tout trancher dans le vif, retranchant, ajoutant, adaptant, pour trouver un équilibre au sein de sa propre narration.
« C’est la règle du genre. Il ne faut pas que l’excès de texte alourdisse la lecture. Tout est question de dosage. » Un exercice d’autant plus délicat que Jean Teulé fut lui aussi homme de BD. « Il a complètement arrêté, sourit Richard Guérineau. Il m’a laissé libre de faire ce que je voulais. »
Le Bordelais s’est cependant attaché aux dialogues, « surtout au début », afin de ne pas trop dérouter les lecteurs de Jean Teulé. « C’est formidablement écrit. Ces textes rappellent le vieux français sans en être vraiment. Et même en sachant ça, on est souvent surpris ! Des tas de choses qui nous paraissent décalées ou contemporaines étaient utilisées à l’époque. »

D’étonnantes références
Richard Guérineau s’est ainsi installé dans le récit, superposant sa propre vision, à dominante rouge sang, à celle de Jean Teulé. Après de nombreuses années passées sur Le Chant des Stryges, entrecoupées de trop rares parenthèses, dont un épisode de XIII Mystery, le dessinateur souhaitait s’affranchir du registre réaliste pour explorer de nouvelles pistes. « Je voulais sortir du format classique de la BD de 46 pages, en jouant d’un graphisme plus caricatural, avec de vraies ruptures graphiques. »
Le résultat est somptueux, alternance de planches classiques avec de terribles intermèdes noirs et sang, mais aussi de parenthèses référencées. Guérineau s’offre ainsi de surprenants hommages aux travaux de Morris (Lucky Luke) et Peyo (Johan et Pirlouit), parfaitement intégrés mais inattendus dans un tel contexte.
L’homme assume. Tout comme il assume la liberté avec laquelle il a abordé l’époque. « Je me suis documenté, naturellement, explique-t-il. J’ai cependant choisi de ne pas pousser trop loin la précision. Il ne s’agit pas, dans mon esprit, d’une bande dessinée proprement historique. L’idée était donc de recréer l’ambiance de l’époque. D’autant que l’information n’est pas toujours disponible. Il n’existe que peu de document décrivant le Louvre de l’époque. Et aucune iconographie… »

Le sang omniprésent
Guérineau déroule ainsi les moments clefs de l’histoire tragicomique de ce roi fou, cruel et colérique, qui chassait le lapin dans les couloirs du Louvre et voyait l’art dans le pâté de mauviette, du moment clef qui le vit céder à sa mère sur la Saint-Barthélemy jusqu’à son trépas, à seulement 23 ans. Une mort marquée une nouvelle fois par le sang. Ce sang qu’il s’est mis à suer abondamment, comme un écho de ses fautes passées.

Pis tiens, cette BD (euh : "Roman Graphique") est un des indispensables du prochain festival d'Angoulême (en lice pour le fauve d'or ou le prix spécial du jury, ou les deux... mais pas pour le prix des clients de Cultura)

1 commentaire:

  1. Richard cause de son adaptation avec Vivian sur Express BD

    http://expressbd.fr/2013/12/10/richard-guerineau-auteur-de-la-bande-dessinee-charly-9-d-apres-le-roman-de-jean-teule/

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donc, tu voulais dire quoi ?