mercredi 20 octobre 2010

Vazahabe !

On a suivi dans La lunette ses voyages au milieu de ceux de Dabitch, Pendanx, Dumontheuil ou Prudhomme... et depuis on l'avais perdu de vu. Denis Vierge perdu dans sa forêt ?
Il revient avec un nouvel album à paraitre là tout de suite chez Paquet.


Denis, est-ce que Vazahabe! est votre première BD ?
Disons que Vazahabe! est ma première bande dessinée de cette taille, éditée professionnellement. Mais j’en fais depuis très longtemps sous des formes différentes : j’ai fait des strips humoristiques pour des magazines et des reportages graphiques.
Pourquoi avoir choisi Madagascar comme toile de fond ?
C’est un pays que j’ai découvert un peu par hasard, et dont je ne suis pas revenu intact. C’était pour moi un nom exotique sur des sacs de toile débarqués de nos colonies dans des photos noir et blanc. Cette rencontre avec la réalité de ce pays m’a bouleversée. Vraiment. Une de mes plus fortes expériences de voyage jusqu’à présent. Comme je voyage toujours avec des carnets, que je dessine tout, que je note ce que les gens me racontent, ce que j’entend et ce que je vois, je me suis retrouvé avec une masse de documents. Alors j’ai voulu en faire quelque chose, un livre.
Et pourquoi une fiction ?
Au départ j’avais pensé éditer un carnet de voyage, qui est une forme à mi-chemin entre l’autobiographie et l’aventure, deux genres que j’aime beaucoup, en particulier en bande dessinée. Mais les conditions éditoriales pour ce genre littéraire et plastique, sont assez perturbantes : les carnets publiés sont assez convenus. En gros les paysages sont « à couper le souffle », les gens « merveilleusement accueillants » et le voyage s’est « super bien passé ». C’est même à cela qu’on reconnaît un voyageur aujourd’hui, y’a qu’à lire les blogs. Or, qui en a l’expérience sait très bien qu’un voyage n’est pas qu’une partie de plaisir. C’est parfois même extrêmement galère. Et pourtant c’est rarement décevant. Mais je me suis perdu…
Oui, la question était pourquoi transformer ces anecdotes en une fiction ?
Qui vous dit que c’est une fiction ? Non, mais sans affirmer que c’est du documentaire, tout y est vraisemblable, j’espère. La fiction permet d’en dire un peu plus sur le réel, et c’était aussi le but de parler de Madagascar. Alors un road-movie à travers Mada, ça me permettait de relier géographiquement toutes mes histoires entre elles…
Le road-movie c’est l’équivalent du carnet de voyage ?
Oui le road-movie, ça fait bizarre ! Il faudrait inventer un terme propre au médium bande dessinée : un road-comics? En tous cas, c’est une des formes indépassables de la narration : c’est Ulysse, c’est l’Odyssée… C’est la parcours géographique originel. Bref… L’idée c’était de faire quelque chose de ces croquis…

Est-ce que les gens aiment être croqués ?
À Mada ? Oui. Il y a peu d’agressivité à Madagascar, en général. Mais en plus la pratique du dessin est une pratique douce, amicale… Partout où j’ai voyagé le dessin a été un vecteur de rencontre, de sourire, d’admiration… Jamais de jalousie ou d’agressivité. Ce n’est pas de la photo… ça c’est plus agressif… Clic-clac c’est rapide, les gens ne voit pas le résultat ! C’est violent. Le dessin se fait petit à petit, les gens ont le temps de voir le truc se faire… S’ils ne sont pas contents ils ont le choix de s’en aller en marchant, même lentement.
Êtes-vous retourné à Madagascar depuis ?
Depuis l’album ? Non. C’est un pays qui change…enfin qui changeait avant la crise (de 2009). Peut-être un jour. Je ne sais pas si ça me plaira toujours autant. C’est un pays qui m’a marqué, où j’ai des amis désormais. Alors…
Revenons au livre : Guy c’est vous ? (Rires)
Oui. Mais pas que moi, attention !! C’est vous aussi, ne vous y trompez pas. C’est le français plein de bons sentiments. Aimant en théorie l’ailleurs, les autres et leur culture, au point de ne pas toujours voir que c’est difficile et parfois cruel…mais il ne s’agit pas pour moi de critiquer l’ouverture et l’universalisme, attention ! - juste rappeler que ce n’est pas naturel à l’homme. Ce qui est naturel, c’est l’agressivité, la peur, la haine. C’est la barbarie et la bêtise. Et qu’être civilisé c’est un effort incessant.
Est-ce que le choix d’un album à l’italienne est une volonté précise ?
Oui, il m’a semblé que c’était le format le plus adapté au « road-comics » (rires). C’est l’histoire d’un déplacement latéral, horizontal, de gauche à droite. J’ai pensé en fait au cinémascope des films de cavalerie de Ford, l’horizontale pour mieux traduire le grand espace que l’homme traverse.
Auriez-vous fait le découpage différemment sur un format classique ?
Bien sûr. Pour suivre l’exemple dont on vient de parler, j’aurais dû montrer autrement l’espace…Dans le livre, pour casser un peu l’horizontalité, j’enchaîne souvent des cases verticales serrées. Sur un format vertical, j’aurais sans doute fait différemment…
Et vous semblez avoir particulièrement travaillé la couleur ?
Oui, avec Ypyb. Il a vraiment fait un travail remarquable. Je pense même qu’il m’a sauvé plein de scènes avec son travail. On a essayé de traduire les couleurs de l’Afrique. Et en même temps je ne sais pas si ce n’est pas une illusion. En rentrant de Mada, j’avais l’impression de couleurs très puissantes : de verts, de rouges, de jaunes vifs. Et quand je regarde des photos, je les trouve fadasses, ternes.
Est-ce que ces couleurs existent vraiment ?
Je ne sais pas… Ypyb a essayé de traduire des couleurs que j’avais en tête, dont on ne sait pas si elles existent, sans qu’il ait jamais été à Mada... Un tour de force !
Vous avez une formation de plasticien, comment en êtes-vous arrivé à faire de la bande dessinée ?
Quand j’étais au lycée puis à la fac dans les années 90, la critique systématique des profs était « ce que tu fais est trop bédé », il fallait comprendre « c’est pas bien, pas noble ». J’ai continué malgré tout, parce que j’aimais ça, et parce que je ne voyais pas, et je ne vois toujours pas en quoi le dessin narratif sous une forme séquentielle, est moins plastique que le dessin tout court ?
Peut-être le problème venait-il de la narration ? Mais les plus grands peintres sont narratifs… je ne comprends pas. L’origine de la bande dessinée, du côté de l’illustré enfantin, en est certainement la cause. Mais aujourd’hui heureusement c’est fini, le dessin contemporain a réglé le problème, et je propose des cours de dessin narratif à l’Université Bordeaux 3. De nombreux étudiants en Arts Plastiques travaillent d’ailleurs à des thèses sur la bande dessinée.
Vous vivez à Bordeaux comme prof d’Arts Plastiques ?
Oui. C’est mon métier principal. Au collège d’abord, plus ces quelques heures à la fac. Mais prof, même d’Arts Plastiques, ça n’a rien à voir avec la création : c’est un autre métier. C’est transmettre, c’est trouver des gestes pédagogiques. Peu importe de savoir dessiner…
Vos appréhensions sur la sortie ?
Je dirais soulagement avant tout, tant je le porte depuis longtemps. Après, si tout le monde s’en fout de ce livre, j’en serais au moins, contrarié. Et puis aussi si les services secrets malgaches viennent plastiquer ma voiture…ça m’ennuierait.

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